Sœur Kostka, auteure des vitrages de la chapelle, s'est éteinte
16.04.2020
C'est avec tristesse que nous vous annonçons qu'Anne-Marie De Vleeschauwer, plus connue sous le nom de Kostka*, qui fut la fondatrice de l'Ecole supérieure des Arts de l'Image le 75, s'est éteinte le 3 avril 2020, à l'âge de 97 ans, à la maison de repos La Providence Saint-Christophe à Flobecq.
Pour le Musée Marthe Donas, son nom reste associé aux vitrages de la chapelle, qu'elle avait réalisés dans le courant des années 60.
* nom choisi en référence au saint polonais Stanislas Kostka (voir Wikipedia)
Nous publions ci-après le texte rédigé par Christophe Alix, directeur du 75, à l'occasion des cinquante ans d'existence de l'école en 2019.
“Forgée par une femme : Kostka, la fondatrice du 75”
Il y a des choses qui chantent en votre subconscient et qui jaillissent soudain à l’appel du passant.
Anne-Marie De Vleeschauwer, 1967.
"De nombreuses personnes et artistes ont jalonné l’histoire de ce demi-siècle d’existence du 75. S’il y a une personne sur laquelle il est essentiel de s’attarder plus particulièrement et sans qui toutes les autres histoires suivantes n’auraient pu exister, c’est une femme : Mme Anne-Marie De Vleeschauwer, plus connue sous le nom de Kostka, en religion Marie-Kostka, la fondatrice de notre école. Lors de l’une de nos rencontres, je l’entends répéter ce mot « fondatrice » deux fois d’un air amusé, comme pour me signifier qu’elle n’a jamais entrepris ce projet d’école pour en tirer une quelconque gloire ou médaille. Mais comment ne pas s’intéresser à la création même de notre école alors que rien jusqu’alors n’avait été publié 1, ou même peut-être écrit, sur cette femme si retirée d’un quelconque monde flamboyant et au destin pourtant si extraordinaire.
Kostka avait environ 45 ans quand à l’été 1969 elle part rencontrer le Baron Donald-Alexandre-Joseph Fallon, bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, pour le convaincre de créer une nouvelle école d’art sur le territoire de la commune. Ce que cette religieuse, artiste et professeur de dessin à l’Institut des Sœurs de l’Enfant-Jésus, a bien pu dire ce jour-là pour le convaincre restera à jamais un mystère, Kostka ne revient plus sur les détails du passé. Elle avait pourtant ce rêve, m’a-t-elle dit, de créer une école d’art mixte et ouverte sur le monde.
Réaliser ses rêves est une chose incroyable. Un rêve aussi démesuré que celui de créer une école d’art serait bien difficilement imaginable aujourd’hui. Il y a 50 ans on avait de grands rêves. Beaucoup sont restés à l’état de rêve d’ailleurs, quelques-uns, très peu, ont pu être réalisés et perpétués à ce jour. Celui du 75 en a fait heureusement partie.
L’École supérieure des Arts de l’image LE 75 est née de ces années utopiques et révolutionnaires de la fin des années soixante, une conjoncture qui a certainement permis tout naturellement et spontanément de faire fusionner deux réseaux différents dans son projet de création, le libre et l’officiel, ce qui soit dit au passage, pour la Belgique de l’époque, est une situation particulièrement visionnaire et inédite.
Évidemment il aurait été impossible pour Kostka de réaliser toute seule un tel rêve et que celui-ci puisse évidemment émerger de nulle part. L’Institut de l’Enfant-Jésus avait en son sein une section Arts plastiques que la sœur Kostka supervisait. Elle avait déjà attiré quelques grands noms du monde de l’art parmi les enseignant·e·s. L’Enfant-Jésus ne voyait néanmoins pas d’un si bon œil l’évolution de cette section qui semblait déjà tenir une réputation plutôt rebelle. Dans l’année académique 1968-69, un homme avait réussi à s’inscrire, on ne sait pas vraiment comment, pour suivre les cours de l’atelier Gravure dans cette institution normalement réservée aux jeunes filles et un professeur de dessin devait être licencié pour une raison obscure, deux gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase. L’Enfant-Jésus pense alors sérieusement à se débarrasser de sa section Arts plastiques. Probablement voyant le vent tourner dans la mauvaise direction, une majorité des professeurs de la section Arts plastiques soutiennent alors Kostka quand cette dernière propose une sécession avec l’Institut de l’Enfant-Jésus. Cette sécession va aussi dans le sens d’une autre scission, moins visible et pourtant bien présente, vis-à-vis des autres écoles d’art bruxelloises plus conventionnelles et établies. Et pourtant le risque était grand, car cette équipe n’avait aucune garantie de percevoir un salaire à la fin du mois. Kostka parvient néanmoins à garder un pied dans le système en affiliant dans un premier temps le 75 à l’Institut Communal d’Enseignement Technique (ICET), c’est ainsi que les salaires peuvent être au moins garantis. Mais c’est sans moyens réels que la nouvelle école du 75 s’installe tant bien que mal sur 4 ou 5 sites de la commune de Woluwe-Saint-Lambert. Cette situation nomade et éclatée du 75 sur plusieurs sites de la commune a quasiment perduré. C’est en 1980 que, suite à l’absorption de l’ICET par l’Athénée Royal de Woluwe- Saint-Lambert, le 75 accède au statut autonome d’école supérieure artistique.
C’est aussi à ce moment-là que l’on remerciera Anne-Marie De Vleeschauwer pour ses bons et loyaux services, sachant pour la petite histoire que son statut officiel avait quant à lui toujours été directrice ff (faisant-fonction) pendant ces 11 années et qu’elle n’a dès lors jamais été reconnue directrice à part entière dans sa fonction. Suite à sa « mise en congé », on lui propose de redevenir professeur de dessin mais Elle préfère quitter l’école pour prendre finalement sa pension en 1983.
J’ai demandé à Mme De Vleeschauwer quelles avaient été les plus grandes difficultés à surmonter pour créer le 75. Elle m’a répondu que cela avait été très dur, surtout les deux ou trois premières années, mais qu’il ne lui restait plus que les bons souvenirs de cette période. À quoi elle a rajouté : « Par contre, j’avais une mauvaise réputation, or il ne faut pas avoir peur parfois d’avoir mauvaise réputation pour réaliser un rêve que l’on sait profitable pour tout le monde ».
Toutes les personnes qui l’ont connue et que j’ai rencontrées sont unanimes sur la détermination et l’engagement de cette femme qui, suite à la sécession avec l’Institut de l’Enfant-Jésus, décidera de quitter les ordres, de passer son permis, de conduire et quelques années plus tard de se marier avec un historien de l’art. J’ai voulu rendre hommage à la détermination, l’exigence et l’engagement de la fondatrice de notre école en mettant en avant l’artiste plutôt que l’enseignante ou la directrice d’école. Grâce à des textes fournis par les proches de Mme Vleeschauwer, j’ai choisi en effet de retracer brièvement le processus de création d’un travail artistique que l’on peut toujours découvrir au Musée Marthe Donas à Ittre. Au-delà du fait que ce processus de création évoque de lui-même déjà fortement le caractère particulièrement déterminé de Kostka, c’est aussi une manière de rappeler que nos écoles supérieures artistiques nécessitent de continuer à s’entourer de personnes du monde de l’art et que l’on ne peut difficilement être une dirigeante aussi ouverte et gardienne d’un enseignement artistique de qualité sans avoir un pied à la fois dans l’art et l’enseignement.
Avant de réaliser ce rêve d’une nouvelle école, Anne-Marie De Vleeschauwer avait convoqué son ami, le célèbre sculpteur belge Michel Smolders, à participer avec elle au projet de réhabilitation de l’ancienne bergerie en chapelle sur le domaine du Château Bauthier à Ittre. La propriété avait été acquise par la Congrégation des Sœurs de l’Enfant-Jésus de Nivelles en 1960. Nous retrouvons là encore les traces d’une autre femme qui a marqué son époque puisque le Château Bauthier avait été jusqu’alors la résidence de l’artiste avant- gardiste belge Marthe Donas (1885-1967) dont le parcours a croisé de nombreux artistes tels que André Lhote, Alexander Archipenko, Theo Van Doesburg ou Piet Mondrian. Et pour fermer la boucle, Anne- Marie De Vleeschauwer avait rencontré Marthe Donas à la galerie le Cheval de verre en novembre 1958. À sa mort, elle lui rend d’ailleurs honneur dans un article où l’on peut lire :
Des couleurs pures, sans heurts ; des tons brillants, me paraissaient jaillir d’un cœur d’enfant. Sa conversation était aussi fraîche que sa peinture, une peinture qui semblait ne pas poser de problèmes, qui devait comme aller de soi, couler de source...
C’est donc en 1964 que Smolders réalise l’autel en pierre tandis que De Vleeschauwer s’attelait aux vitrages en verre du Val Saint-Lambert dans cette nouvelle chapelle qui allait devenir le musée Marthe Donas en 2003. Anne-Marie De Vleeschauwer décrit, dans un texte intitulé « C’est en forgeant... », comment elle se revoit parcourant les immenses salles des ateliers du Val Saint-Lambert, soulevant les dalles à bout de bras avant de faire son choix. Elle raconte encore comment elle avait dû tout apprendre et, une fois les choses terminées, se demander comment elle avait osé les entreprendre. Et puis le plus touchant de ce récit d’expérience d’artiste reste peut-être finalement les détails de sa collaboration avec un artisan vitrier et un artisan maçon pour le montage en vue de la réalisation de ce projet de vitrage. Avec le vitrier, elle assiste au triste spectacle du verre qui se fend et décide dès lors de prendre quelques leçons avant de faire les découpes elle-même. Le récit de la collaboration avec Antoine le maçon pour le montage final des vitrages révèle quant à lui la force, la spontanéité, la détermination et la générosité de Kostka. Elle rencontre ce maçon parce qu’il était curieux de nouvelles techniques et du monde de l’art. Kostka décrit comment elle devient de plus en plus subjuguée par le travail minutieux et intelligent de cet artisan. C’est une véritable collaboration entre art et artisanat qui s’établit dans ce projet.
Pour conclure cet hommage, je citerai cette phrase toute simple du maçon qui, de manière métaphorique, résume au fond tout l’équilibre d’une œuvre collective et de la création de notre école : Les petits morceaux, ça fait tenir le ciment ; et les grands sont soutenus par les petits. Faut pas avoir peur, tout ça se tient."
CHRISTOPHE ALIX